La vie dans les postes d’altitude
La garnison d’un poste d’altitude se compose, généralement, d’un lieutenant, d’un sergent, de deux caporaux, d’un médecin auxiliaire étudiant en médecine, de dix-sept chasseurs et d’un sapeur téléphoniste, tous volontaires. Certain ont un emploi spécifique comme le boulanger, le cuisinier, le forgeron, le menuisier et les ordonnances de l’officier et des sous-officiers. Cette dotation varie suivant les années et les postes.
Le rôle du chef de poste est primordial. C’est de lui que dépend le bon déroulement d’un hivernage. Il doit être omniprésent, prenant les responsabilités de son organisation, montrant une dynamique permanente et soutenant le moral de ses hommes dans les moments d’abattement. Aucune reconnaissance, corvée ou ravitaillement ne se font sans sa présence. Trois fois par jour, il effectue des relevés météorologiques qu’il consigne sur le livre de bord ainsi que le déroulement de la journée. Ces informations sont transmises au poste de vallée le plus proche. Le sergent veille au bon déroulement des détails et des consignes particulières au poste, tient le cahier d’ordinaire et prépare les pièces journalières. Il conserve les clefs des divers magasins et de la cave et dirige la distribution des vivres. Les deux caporaux commandent, en alternance d’une semaine, les corvées. L’un d’entre eux est caporal d’ordinaire et établit les notes de vivres.
La journée est rythmée par un horaire bien défini, qui peut changer suivant le chef de poste. Voici un exemple de journée en 1909 :
- 8 h : réveil de la garnison.
- De 8h à 9 h : Petit-déjeuner, toilette, corvée de bois, nettoyage, rangement et déblaiement, si nécessaire, des portes et fenêtres obstruées par la neige.
- Entre 9 h et 10 h : Corvée de courrier et ravitaillement. Pour les hommes restant au poste continuations des corvées.
- 11 h : Arrivée du courrier et du ravitaillement, si la neige est facile. Un thé chaud et du rhum est servi aux hommes du courrier.
- 12 h : Repas.
- Après le déjeuner : Distribution du courrier et repos.
- En début d’après midi : Départ pour l’école de ski si les conditions sont favorables.
- 16 h : Retour de l’école de ski. Dégustation de thé avec un solide casse-croûte.
- 18 h : Souper.
- Soirée et veillée.
- Le coucher se fait à la volonté de chacun.
En cas de tempête, les corvées changent, certaines sont supprimées. Les hommes restent confinés à l’intérieur et vaquent à du nettoyage ou des occupations personnelles. Parfois, le médecin auxiliaire organise des cours d’hygiène. Celle-ci est primordiale pour la santé des hiverneurs. Il faut à tout prix éviter les maladies et accidents graves qui nécessitent une évacuation, souvent longue et périlleuse. Plusieurs règles strictes la régissent. La tête et les mains do
ivent être lavées chaque matin au lavabo ou dans des seaux. En aucun cas l’eau ne doit être jetée par les portes ou fenêtres car avec le froid elle gèle et peut entraîner des chutes. Il ne faut pas uriner devant les bâtiments mais uniquement aux latrines.
Le linge doit être changé fréquemment, surtout les dessous de corps. Une lessiveuse automatique sert à le laver et un étendage est installé prés du four à pain. Les vêtements peuvent également sécher devant les poêles des chambrées. Dés que le temps le permet, les bâtiments sont aérés et les fournitures et paquetages sont sortis sur la terrasse au grand air. Les draps sont changés plusieurs fois dans l’hiver. En été, les couvertures et matelas sont battus à l’extérieur. Les baraquements sont nettoyés tous les jours et le plancher et les lambris sont lessivés avec de l’eau additionnée de grésil plusieurs fois par mois.
Dés que les vêtements sont mouillés par la neige ils doivent être changés. Les brodequins sont cirés à l’intérieur et à l’extérieur pour les rendre étanche. Ils sont mis à sécher prés du four à pain. On peut les entourer avec des bandes molletières ou des bas de laine pour absorber l’humidité.
La tenue de l’officier, des sous-officiers et de la troupe varie suivant l’emploi du temps, les corvées, la météo et l’emploi de chacun.
La tenue de base des chasseurs est la vareuse dolman modèle 1891, le pantalon droit modèle, les bandes molletières, le béret alpin, une chemise et un tricot de laine. Pour les corvées ils portent le treillis bourgeron qui peut se superposer, en cas de froid, sur la tenue de drap. La ceinture de flanelle est utilisée pour les corvées nécessitant un effort ou par grand froid.
En cas de garde ou de sortie hivernale, les chasseurs utilisent des moufles, passe-montagne, des chaussons à neige en drap et cuir et la cape appelée manteau à capuchon.
L’officier utilise pour lutter contre le froid des effets personnel comme un pull, un manteau, un bonnet ou des gants.
L’alimentation est également très surveillée. Les hommes doivent manger à leur faim des aliments riches et variés leur permettant de lutter contre les conditions climatiques et la fatigue liée à l’altitude et aux efforts fournis. Avant l’arrivée des premières neiges, des chariots amènent le ravitaillement nécessaire à l’hivernage.
Voici par exemple ce que reçoit le poste de la Turra en Maurienne, ce qui, à quelques choses prêt, est commun aux postes des Alpes :
- 327 kg de biscuits
- 305 kg de farine
- 100 kg de lard salé
- 4 000 kg de farine
- 55 kg de sel
- 120 l d’huile
- 95 kg de vermicelles
- 40 boites de moutarde
- 95 kg de macaroni
- 4 000 l de vin
- 500 kg de choux
- 225 kg de carottes
- 210 kg de navets
- 320 kg d’oignons
- 800 kg de pommes de terre
- Du poivre, du fromage, des pruneaux, du rhum et du thé, des harengs et de la morue séchée.
- La viande rouge, les légumes frais, les œufs sont amenés par corvées depuis Séez quand le temps le permet.
La ration journalière d’un hiverneur est de 750 gr de pain, 16 gr de sucre, 21 gr de café, 400 gr de viande, 1 kg de légume, un demi-litre de vin, une ration de fromage ou de saucisson pour le déjeuner. Un repas type comprend une soupe, un plat de viande et de légumes. Le café est distribué deux fois par jour, au réveil et après la soupe du matin. Le pain est cuit tous les jours, sauf le dimanche, sur place. La ration n’est pas distribuée complètement mais chacun se sert quand il veut. Les quantités de nourriture et les sommes d’argent qu’elles représentent sont portées sur un tableau. Ces sommes sont communiquées par le lieutenant d’ordinaire au lieutenant trésorier qui les règle.
Le médecin auxiliaire et les sous-officiers ont deux options. Soit comme les hommes, il perçoivent un sou et de la nourriture pour un montant de 17 sous, soit ils achètent au magasin de l’ordinaire ce qu’ils veulent avec 18 sous. Le pain, le vin et le café sont fournis.
Le poste de vallée est chargé d’assurer son ravitaillement quotidien, d’acheminer le courrier, d’entretenir le matériel de ski et doit fournir des remplaçants au poste en cas de maladie ou de problème de discipline.
La corvée de déneigement est la seconde source d’occupation. Après chaque chute de neige importante il faut déneiger les portes et les accès du poste. Quand l’accumulation de neige est trop importante, un tunnel doit être creusé. Plusieurs galeries, longues de plusieurs mètres, mènent aux entrées des bâtiments. Il serait trop long et fastidieux de vouloir dégager tous les édifices. De plus, le manteau neigeux à un pouvoir isolant qui dispense le poste d’un chauffage permanent. Les Poêles à bois ne sont allumés que dans la journée, plus pour sécher les effets et combattre l’humidité que pour chauffer les locaux. Les cheminées sont dégagées en permanence, pour faciliter l’évacuation des fumées et éviter une asphyxie. Pour les bâtiments qui ont deux étages de fenêtres, uniquement les supérieurs sont dégagés. Certaines pièces dont on ne peut déneiger les ouvertures ne sont éclairées uniquement que par des lampes à pétrole.
Il faut également soigner les animaux du poste comme les chiens, fidèles compagnon de la sentinelle qui passent plus de temps à dormir et manger qu’à monter la garde. Au début du 20e siècle, le poste de la Redoute Ruinée possède deux cochons, Noémie et Michel, dont l’occupation est de terminer les restes des repas avant eux-mêmes de servir de met. Les années suivantes, c’est leur descendance qui assureront ces rôles. La basse-cour se compose de poules d’un coq appelé Théodore de Bèze, qui, tous les matins, réveille le poste.
Le temps libre est laissé au repos et loisirs de chacun. Quand le temps la météo, certains se promènent aux environs du poste ou s’allongent sur la neige pour se faire chauffer par le soleil .D’autres réparent des effets, s’adonnent à l’écriture de lettre ou lisent du courrier. Il y a bien une bibliothèque mais ses choix sont pauvres. Les journaux livrés avec le courrier passent de main en main et son maintes fois relus. Le soir le foyer est le lieu le plus animé et souvent enfumé par les cigarettes et les pipes. On peut, en buvant un verre, avec modération car l’ivrognerie est condamnée, jouer à de multiples jeux. Parfois un billard est fabriqué avec des caisses à biscuits retournées et recouvertes de crin végétal et de drap de capote. Le jeu du tonneau, taillé dans un billot de mélèze, le loto ou les jeux de carte se pratiquent également. Quelques soirées sont égayées par bal au son d’un accordéon et d’un violon où les chasseurs dansent deux par deux des bourrées endiablées.